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Inondations : un transfert précipité des digues plonge les collectivités dans une impasse assurantielle

digue assurance finengy

Depuis le 29 janvier 2024, les collectivités locales se retrouvent face à une responsabilité majeure : la gestion de 168 ouvrages domaniaux représentant près de 700 kilomètres de digues fluviales et maritimes, transférés par l’État aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans le cadre de la compétence Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations). Ce transfert, censé être préparé pendant une décennie, s’est opéré dans la précipitation : décret d’application publié en novembre 2023, liste définitive communiquée seulement en mai 2024, diagnostics incomplets ou inexistants… Autant d’éléments qui laissent les collectivités dans une situation délicate.

Les élus locaux dénoncent un transfert « précipité et asymétrique ». Ils héritent d’ouvrages souvent vétustes, parfois en état de dégradation avancée, nécessitant des travaux lourds de remise en état, voire de reconstruction. Ces interventions représentent des coûts colossaux : par exemple, 110 millions d’euros pour réhabiliter 90 km de digues en Savoie, et jusqu’à 1 million d’euros par kilomètre sur certains tronçons de la Garonne. Pour des budgets locaux déjà contraints, ces montants sont tout simplement intenables.

À cette difficulté s’ajoute une impasse assurantielle. Les compagnies d’assurance refusent de couvrir des ouvrages jugés non conformes ou trop vétustes. Or, la jurisprudence administrative considère qu’une collectivité peut être tenue responsable en cas de défaut d’entretien ou de mauvais fonctionnement d’un ouvrage public ayant contribué à un sinistre. Sans couverture adéquate, les collectivités s’exposent donc à des risques financiers considérables. Certaines tentent de lancer des appels d’offres, souvent infructueux, ou se résignent à accepter des contrats très coûteux, assortis de franchises élevées et d’exclusions importantes.

Face à cette situation, les sénateurs Rémy Pointereau, Hervé Gillé et Jean-Yves Roux, auteurs d’un rapport d’information sur la compétence Gemapi, proposent plusieurs pistes. Le gouvernement a annoncé la création d’une cellule d’accompagnement baptisée Collectiv’Assur, destinée à aider les collectivités à trouver des solutions d’assurance et à instaurer un dialogue avec les compagnies. Le rapport recommande également de faciliter le recours au Médiateur de l’assurance en cas de refus répétés, et n’exclut pas la mise en place d’un droit à l’assurance pour les gestionnaires publics.

Enfin, les sénateurs insistent sur la nécessité de mieux articuler les financements. Le fonds Barnier, alimenté par la surprime « cat’nat » prélevée sur les contrats d’assurance, ne bénéficie actuellement que d’une partie des recettes réellement collectées, limitant les moyens disponibles pour la prévention. Ils appellent à une stricte correspondance entre le produit de cette taxe et les crédits du programme de prévention des risques, afin de restaurer la confiance des territoires et de donner de la visibilité aux projets de rénovation. Cette recommandation rejoint les conclusions du rapport sur le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles remis en mai 2024 par la sénatrice Christine Lavarde.

En résumé, les collectivités se trouvent aujourd’hui face à une double contrainte : des ouvrages à réhabiliter dans l’urgence et une couverture assurantielle quasi impossible à obtenir. Une situation qui, sans mesures fortes, risque de fragiliser durablement la prévention des inondations en France.
 
 
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